mercredi 22 juillet 2009

matrix

Saison.
Cycle implacable d’un astre qui passe sa vie à en observer un autre.
Les hommes ont donné des noms à ce qui fait leur vie. Ils en ont même trouvé pour le temps, et même pour des points dans le temps, réalité impalpable nommée dans l’alignement grandiose des astres. Danse céleste ininterrompue pour le mystère et l’émerveillement, pour les yeux écarquillés et pour les bouts d’instant qui changent des cours acycliques à fort potentiel centrifuge. Ainsi je suis née. On m’a trouvé un nom et puis d’autres. Longtemps avant ce jour-là, au cours de siècles où le ciel devenait tangible aux inventeurs de noms et bien après que les navigateurs et les survivants avaient appris à intégrer le ciel dans leur vie, on avait trouvé un nom pour ce jour-là. Un nom pour le jour au cours duquel, le temps d’un imperceptible éboulis sur le grand canyon, le temps que la fleur de saguaro éclose, le temps qu’un père prenne un enfant dans ses bras pour la première fois, le temps qu’un kid aux sens submergés ouvre un œil qui ne sait pas comment il s’appelle, le temps que les ombres deviennent des points, les parallèles tracent une courbe qui n’existe pas, le désert se rafraîchit, les hommes changent de saison. Le moment où, le soleil se trouvant, au cours de sa trajectoire apparente sur la sphère céleste, dans le plan de l'équateur, le jour a une durée égale à celle de la nuit sur toute la terre. C’est un nom fabuleux qui sonne comme une structure poétique, un nom qui éveille les démons et les espoirs qu’on crie à la face du monde, un nom dont on fait des contes et des potions.
Le kid est née à l’équinoxe.
Je vois déjà les cow-boys et les danseuses, les pionnières et les desperados, les marins et les funambules qui sourient en lisant ça alors même que les saisons passent, les étoiles filent et l’histoire reste suspendue à un lointain mois de février. Ils sourient et continuent à naviguer, déambuler, chevaucher, observer et danser parfois. Et bien qu’ils le sachent : l’histoire a continué. Le kid marche plus vite qu’une pile de livre qui dégringole, parle aux humains et aux trains, sait reconnaitre un carré de chocolat au milieu d’une assiette de poisson, sait lire en poussant une poussette déglinguée, sait déplacer des piles de trucs à travers des couloirs et sait même danser dans une maison vide sur les airs terrestres de john coltrane.
Hiver, fin.
L’hiver est tiède à l’ouest de l’Europe. Tiède, humide et plat.
A notre retour des sommets pyrénéens et du soleil de montagne, c’était la fin du mois de février. Pas de nom pour ce bout de temps. Juste le moment de souhaiter des anniversaires. Puis le temps a repris un cours de plaine. Dégagé, sujet aux brûlures solaires, aux ciels fabuleux, aux pluies fines, au vent du désert et aux longues marches urbaines. J’ai appris encore et encore. Tous les jours plus de connaissances et plus d’énergie. J’ai déployé des muscles avant même de connaitre leur nom, j’ai trainé mes bottes rouges dans les allées des parcs rennais, d’abord doucement, puis par la main plus vite, puis toute seule sur l’asphalte juste pour sentir le sol taper sous mes pieds et ma tête rebondir sous les chocs rythmés par mon mouvement propre.
Peu après avoir marché juste pour sentir mes jambes qui se déplient et mes pieds qui touchent le sol, j’ai aussi eu cette idée que marcher les mains vides ça ne semblait pas très juste pour tous ces objets inanimés et immobiles qui m’entourent : les livres, les poupées, les téléphones, les cubes, les magnets, les magazines, les plaques de chocolat, le linge sale, les boites, les bidules, les machins par terre, et les trucs bizarres que je peux attraper. Alors, je me suis dit que je pourrais en prendre des piles dans mes mains quand je marche. Je marche maintenant avec un but transparent, faire bouger les choses qui ne peuvent pas le faire toutes seules, et les choses profitent du mouvement que je génère toute seule comme si j’étais un cow-boy qui avance sans faillir à travers les hauts plateaux du Saskatchewan.
L’hiver touchant à sa fin, papa a recommencé à voyager, quelques jours par-ci par-là, souvent. Maman est là et on regarde Barbapapa toutes les 2. Le soir j’écoute les portes qui s’ouvrent sur le vaste dehors. Parfois papa arrive et parfois maman me kidnappe dans la salle de bains pour me couvrir d’eau et de savon. Je hurle en me débattant plus ou moins, sachant pertinemment que ça s’arrêtera mais souhaitant tout de même rappeler mon désaccord dès que l’occasion se présente. Maman sécurise, rédige, rêve de Grèce et d’appartements magnifiques.
L’hiver s’est arrêté pour mon demi-anniversaire. J’ai monté une nouvelle marche du temps le jour d’un instant lunaire qui porte un nom lui aussi. Les noms et le temps ça me fait réfléchir au cours de ces nuits agitées de poussée dentaire. Ça mérite beaucoup de chocolat et de la musique qui fait taper dans les mains.
Mes parents photographient, le kid grandit.
Au retour des Pyrénnées le mois de février se termine, c'est le moment où le soir vient plus tard et c'est les anniversaires de Sandrine et Jacques. Petite excursion à Acigné.
Chapeau, rond, splendide, ça fait rire tout le monde.
Le toujours présent, l'indispensable, la source de tous les renouvellements de trucs à faire, le grand, le rempli, le portable, l'inépuisable sac de maman.
Une crêpe tout droit venue du Pouldu fera certainement disparaître les dernières traces de ma chute sur un parking pas assez enneigé.
Et c'est le temps, amené à se répéter quelques fois dans les mois à venir, des bougies et du chocolat.
Et puis c'est le retour des vacances, le vrai.
Réveil matin, livres, lait, tortues, tata, chaussures, barbapapa. Si seulement j'arrivais à coordonner mes cordes vocales, mes joues, ma langue et ma respiration pour produire ces sons avec lesquels je pourrais me faire comprendre du reste du monde. J'observe et je commence l'entrainement.
Mars, la marche à pieds ça commence à bien me connaitre maintenant qu'il n'y a plus toute cette neige et les 18 couches de vêtement qu'elle nécessite. La place Hoche? Même pas peur, vas-y maman, je mets un pied devant l'autre et je te suis, la rigolade, et je tourne.
Il n'y a pas de saisons pour lire toute la bibliothèque d'un coup. Comment ça des livres?
On a reçu la visite de tata Cécile, des cadeaux, des histoires de Créteil, des prétextes à bien manger et à se coucher tard.
Ca vaut bien une visite au Mont Saint Michel. Journée bleue.
Je suis à nouveau bien couverte, c'est encore l'hiver. J'observe toute cette herbe. Sous mes pieds, ça ne m'inspire pas vraiment. Je décide de faire un gradn détour pour trouver un sol plus solide, plus minéral et même un escalier histoire de pratiquer un peu l'escalade. Comment ça pas une bonne idée? A force d'essayer, de mettre de la poussière sur tout mon manteau, de m'entêter sans l'aide de papa, je fais demi tour. Le kid, après une bonne colère et un certains nombres d'essais infructueux, sait s'avouer vaincue.
J'expérimente même l'herbe pour la peine.
Parmi les nombreuses évolutions que je pratique de manière plus ou moins expérimentale en cette fin d'hiver, il y a une relation plus proche avec ma poupée. Bien sûr qu'elle mange du croissant. Mais moins que moi, bien sûr. Elle n'a pas besoin d'affronter les vastes rues pavées comme le kid.
Je vous le dis, la marche, j'adore. Ce dimanche là, je descends à travers le parc privé jusqu'au canal, à pieds. Je m'aventure même à des détours solitaires. Mes parents ne semblent pas très adeptes des virages et autres rallongis auxquels je me livre. Je cumule pratique pure de la marche avec l'idée d'atteindre un but en marchant.
Expérience pédestre intégrale.
Et l'hiver se termine enfin. Demain c'est le printemps, une nouvelle saison, alignement régulier et furtif. C'est mon demi anniversaire.
18 mois et un seul petit macaron. Je me contente de 2 bougies et du chocolat.
Quand je vous disais que cette combinaison lumino-gistative pouvait se répéter fréquemment.
Formidable!!
Et en plus ça se mange!
Comment ça un air de ressemblance?
Ca y est. Aussi incroyable que ça puisse paraitre, le printemps se pointe un dimanche matin. Croissants et yeux hagards de tant de matin.
C'est décidé, le printemps sera encore plus aventureux, marche et tradition orale.
Un jour je m'arrêterai quelques jours dans la plaine, je commanderai un ou 2 café à la boulangerie de main street et j'écrirai les histoires d'une nouvelle saison. En attendant, le jour se lève à l'ouest de quelque part, une ville s'éveille devant la vitrine de Starbucks, Antoine, Raphael et moi reprenons des forces avant la promenade de l'après-midi. Les temps se croisent.